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Voilà qu’il revenait. Et Sibby ne pouvait rien faire d’autre que de rester en vie pour protéger son enfant.
Son adorable bébé.
Elle était attachée à cette fichue civière, sauf le bras gauche. Cela ne servait à rien, puisqu’elle en avait besoin pour maintenir sa petite fille chérie pendant qu’elle tétait. Elle avait rêvé à ce moment de paix absolue dont ses amies lui avaient parlé. Jamais elle n’aurait imaginé le passer dans un sous-sol humide et répugnant en compagnie d’un dément.
Un malade mental qui tendait maintenant les bras vers son bébé.
Sibby n’avait d’autre arme que sa voix et sa volonté de survivre pour son enfant.
— Hors de question que vous approchiez de mon bébé.
— « Mon bébé, mon bébé », minauda-t-il, moqueur. Tu entends comme tu es égoïste, Sibby ? Pas la moindre pensée pour le père.
— Vous n’êtes pas son père, espèce de taré. Et je ne la lâcherai pas.
— Je suis sûr que tu ne plaisantes pas, répondit Sqweegel. Mais laisse-moi t’expliquer ce qu’il en est. Soit tu me la confies gentiment, soit je te tranche les poignets avec une hache et je la récupère. Tu veux qu’elle soit marquée pour toujours par les gémissements que tu pousseras quand tu imploreras ma pitié ? Tu veux qu’elle soit obligée de goûter au sang de sa maman ?
Peut-être ce monstre en costume blanc était-il un de ces gosses qui répètent une fois adultes les mauvais traitements qu’ils ont subis dans leur enfance. On ne pouvait pas négocier avec lui, mais pouvait-on lui faire peur ?
— Vous allez arrêter ça tout de suite ! cria-t-elle. Vous ne me faites pas peur, vous et vos menaces. Je connais votre espèce. Vous vous cachez parce que vous avez la trouille d’affronter le monde réel. Je me moque des gens comme vous. Je vous trouve ridicule.
Il la regarda un moment, puis il inclina lentement la tête.
Sans crier gare, il lui décocha un coup de poing dans la mâchoire. Sibby n’avait jamais connu pareille violence. Le coup fut tel qu’une de ses dents se déchaussa. La bouche remplie de sang, elle sentit le poids sur son bras s’alléger… puis s’envoler.
Mon Dieu, non.
Quand elle reprit ses esprits, elle vit que le monstre tenait sa fille dans ses bras.
— Ne lui faites pas de mal, implora-t-elle, la bouche pâteuse et la langue enflée. Je vous en prie, je ferai tout ce que vous voudrez, mais ne lui faites pas de mal.
— Je ne compte pas la tuer, répondit Sqweegel. Si je l’avais voulu, elle serait déjà morte.
— Ne lui faites pas de mal.
Le monstre masqué ricana et s’éloigna avec l’enfant dans les bras. Sibby fut surprise de la tendresse qu’il témoignait au bébé. Cet insecte desséché qui l’avait frappée, coupée et presque violée.
Il ouvrit le réfrigérateur et en sortit une plaquette de beurre. Et, après avoir allongé l’enfant sur la table, il entreprit de l’en enduire entièrement.
Le bébé ne bronchait pas. Il regardait l’homme avec curiosité. C’était ça, la vie ? C’était ainsi que fonctionnait le monde ?
— Tu vois ? fit Sqweegel. Elle adore son papa.